POESIES
 
 

Litanie des écoliers

Saint Anatole,
Que légers soient les jours d’école !

Saint Amalfait,
Ah ! que nos devoirs soient bien faits !

Saint Cordule,
N’oubliez ni point, ni virgule.

Saint Nicodème,
Donnez-nous la clef des problèmes.

Saint Tirelire,
Que grammaire nous fasse rire !

Saint Siméon,
Allongez les récréations !

Saint Espongien,
Effacez tous les mauvais points !

Sainte Clémence,
Que viennent vite les vacances !

Sainte Marie,
Faites qu’elles soient infinies !

Maurice Carême

Au royaume des nuages

Au royaume des nuages,
Le soleil est roi.

Au royaume des orages,
Le tonnerre est roi.

Au royaume des images,
Les enfants sont rois…,
Quand ils sont sages,
Comme des images.

Gisèle Calmy


(suite inventée)

Au royaume des plages,
Le sable est roi.

Au royaume des cages,
L’animal est roi.

Au royaume des coquillages,
Le bigorneau est roi.

Au royaume des paysages,
L’horizon est roi.

Au royaume des âges,
Le temps est roi.

Au royaume des pages,
Le livre est roi.

Les élèves de notre classe

Le hareng-saur

Il était un grand mur blanc nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng-saur sec, sec, sec,
Il vient tenant dans ses mains sales, sales, sales.

Un marteau lourd, un grand clou pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle gros, gros, gros.

Alors il monte à l’échelle haut, haut, haut,
Et plante le clou pointu toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur blanc nu, nu, nu.

Il laisse-aller le marteau qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng-saur sec, sec, sec.

Il redescend l’échelle haute, haute, haute,
S’emporte avec le marteau lourd, lourd, lourd,
Très lentement se balance toujours, toujours, toujours.

J’ai composé cette histoire simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens graves, graves, graves,
Et amuser les enfants petits, petits, petits.

Charles Cros

 
Le feu des étoiles

Le feu est né dans une étoile
voici plusieurs milliards d’années
quand le ciel était encore vide.

De cette étoile jaillit une autre étoile
puis le soleil, cet immense brasier
d’où sont sorties les planètes :
La lune, Mars, Mercure, Jupiter,
comme la cendre après la flamme.

Sur terre enfin la vie est apparue :
poissons, reptiles, mamifères
et, monté dans les arbres,
un petit animal semblable à l’écureuil
qui, plus tard deviendra un homme.

L’Homme est donc bien le fils du feu
quand, par une claire nuit d’été,
il regardera la voie Lactée,
cette poussière d’étoiles,
c’est son enfance qu’il contemple
à des millions d’années-lumière,

l’enfance de l’humanité

Jean Orizet


A l'école de la forêt
           on récite l'alphabet

La sourie lance les dés
a b c d

Le chat frise ses moustaches
e f g h

La grenouille grimpe à l'échelle
i j k l

Le pivert commence à taper
m n o p

La cigale préfère chanter
q r s t

Le péroquet vient d'arriver
u v w

tous répètent sans qu'on les aide
x y z

La mer s’est retirée

La mer s’est retirée,
Qui la ramènera ?

La mer s’est démontée,
Qui la remontera ?

La mer est emportée,
Qui la rapportera ?

La mer est déchaînée,
Qui la rattachera ?

Un enfant qui joue sur la plage
Avec un collier de coquillages.

Jacques Charpentreau


 
J’ai trempé mon doigt
dans la confiture…

Turelure.
Çà sentait les abeilles
Çà sentait les groseilles
Çà sentait le soleil.
J’ai trempé mon doigt dans la confiture
Puis je l’ai sucé,
Comme on suce les joues de bonne grand-maman
Qui n’a plus mal aux dents
Et qui parle de fée…
Puis je l’ai sucé
Sucé
Mais tellement sucé
Que je l’ai avalé !

René de Obaldia


 
Le lièvre et la tortue

Pour un lièvre il est bien aisé
De se moquer d’une tortue.
« Vous vous traînez, vous lambinez.
êtes-vous donc si abattue ?
- Vous avez tort de rire,
riposta l’animal, humilié.
Je vous battrai, j’ose le dire,
à la course dans cette allée. »
Le lièvre faillit s’étouffer.
« Ma victoire sera si facile
que je courrai les yeux fermés. »
Un renard leur servit d’arbitre.
« Un, deux, trois, pan ! Partez ! »
Le lièvre fila comme un trait
puis il se mit à faire le pitre,
à gambader, à cabrioler
et pour terminer,
il s’endormit.
La tortue, sans s’arrêter, marchait, têtue,
et elle réussit à dépasser son adversaire.
Quand celui-ci se réveilla,
il était loin, bien loin derrière…

  

Il a neigé

Il a neigé dans l'aube rose
si doucement neigé,
que le chaton noir croit rêver.
C'est à peine s'il ose
Marcher.

Il a neigé dans l'aube rose,
Si doucement neigé,
que les choses
semblent avoir changé.

Et le chaton noir n'ose
s'aventurer dans le verger,
se sentant soudain étranger
à cette blancheur où se posent,
comme pour le narguer
des moineaux effrontés.

Maurice Carême

 
  POESIES DU MOYEN AGE
 

Regrets

Je plains le temps de ma jeunesse,
Auquel j'ai plus qu'autre galé,
Jusqu'à l'entrée de vieillesse,
Qui son partement m'a celé.
Il ne s'en est à pied allé,
N'à cheval : hélas ! Comment donc ?
Soudainement s'en est volé
Et ne m'a laissé quelque don.

Allé s'en est, et je demeure
Pauvre de sens et de savoir,
Triste,failli, plus noire que meure,
Qui n'ai ne sens, rente, n'avoir ;
Des miens le moindre, je dis voir,
De me désavouer s'avance,

Oubliant nature devoir
Par faute d'un peu de chevance.

He ! Dieu, si j'eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle,
Et à bonnes moeurs dédié,
J'eusse maison et couche molle,
Mai quoi ! je fuyoie l'école
Comme fait le mauvais enfant,
En écrivant cette parole
A peu que le coeur ne me fend.

Où sont les gracieux galants
Que je suivais au temps jadis,
Si bien charmants, si bien parlants,
Si plaisants en faits et en dits ?
Les aucuns sont morts et roidis,
D'eux n'est-il plus rien maintenant :
Repos aient en paradis
Et Dieu sauve le demeurant !

Et les autres sont devenus,
Dieu merci ! grands seigneurs et maîtres ;
Les autres mendient tout nus

Et pain ne voient qu'aux fenêtres ;
Les autres sont entrées en cloitre
De Célestin et de Chartreux,
Bottes, houssés com pêcheurs d'oitres :
Voyez l'état divers d'entre eux !

François Villon

  Odes


Mignonne, allons voir si la rose,
Qui ce matin, avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu, cette vêprée,
Les plis de sa robe prouprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! Voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a, dessus la place,
Las ! las ! ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

Ronsard

 

 
   

Les Regrets

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge.

Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,

Plus mon Loire gaulois que le Tibre Latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

Les Regrets, sonnet XXXL
Du Bellay

 

 
         
   









La Ballade des pendus

Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les coeurs contre nous endurciz,
Car, ce pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez ci, attachés cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéca devorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s'en rie :
Mais priez Dieu que tous nous veuille
absouldre !

Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutefois, vous savez

Que tous hommes n'ont pas le sens rassiz ;
Excusez nous, puis que sommes transsis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale fouldre
Nous sommes mors, ame ne nous harie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille
absouldre !

La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz :
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
Puis ca, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d'oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille
absouldre !

Prince Jhésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A luy n'avons que faire ne que souldre.

Hommes, icy n'a point de mocquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille
absouldre !

François Villon